Dijon vu par le Facteur de l’Eldo # 3

Les vacances du M. Hulot de l’Eldo

Par le facteur de l’Eldo

Dans cette chronique, je ne vous parlerai pas de Dijon (quoique…) puisque je suis en vacances. Je fais partie du voyage au Brésil organisé par Archimède où j’accompagne Neyton Cará. N’étant pas d’une grande utilité pour lui à Sao Luis Neyton m’a envoyé chez son neveu Neijo Cará qui habite dans une bourgade située à 250 km de la capitale : Barreirinhas, avec pour seule mission de lui écrire un papier dans lequel je dois parler de cinéma quelle qu’en soit l’approche. Pour le reste, il me conseille de faire un peu de tourisme et de farniente.

BarreirinhasBarreirinhas est une petite ville de 60 000 âmes, sympathique puisque ses électeurs n’ont été que 17 % à voter pour Bolsonaro au deuxième tour des élections présidentielles. En revanche elle a un gros défaut : pas de bibliothèque pas de théâtre et surtout pas de cinéma ! Autant dire un désert culturel ; le désert étant d’ailleurs sa principale attraction puisque la ville est considérée comme la porte d’entrée des Lençóis, plus grand désert de dunes au monde. Les dunes alternant avec des lagons d’eau douce en font un paysage unique très prisé des touristes essentiellement brésiliens.

L’absence de cinéma est pour moi totalement dépaysante et légèrement angoissante puisque lorsque je ne suis pas sur mon vélo pour l’Eldo, je suis le plus souvent en salle pour voir des films. J’allais donc bien être obligé d’appliquer le programme imposé : visite des Lençóis, baignade dans le rio Preguiças et repas de fruits de mer au restaurant… Bref, Archimède et Neyton m’avaient bien piégé.

BarreirinhasSur le port, tout en sirotant une caïpirinha bien frappée, je ruminais de sombres pensées quand je fus distrait par le passage d’un cycliste au guidon d’un véhicule bien étrange. La roue avant était plus petite que la roue arrière et surmontée d’un porte-bagage large et spacieux. De plus, l’avant de la bicyclette était équipé d’une sorte de trapèze qui pouvait se déplier sous la roue lorsque le vélo était à l’arrêt comme j’ai pu le constater, le cycliste ayant laissé son véhicule un peu plus loin. Le vélo était alors bien stable posé sur sa roue arrière et son trapèze à l’avant, le chargement avant aussi bien que le chargement à l’arrière restant bien à l’horizontale.Une évidence me traversa l’esprit : ce véhicule aurait été parfait pour ma tournée de facteur de l’Eldo.

BarreirinhasJe décidai donc de me renseigner sur cette ingénieux objet auprès de Fernando. Fernando est un jeune vendeur d’un bazar situé sur le marché. On y vend de tout, essentiellement des produits d’importation pour équiper la maison. En principe les gringos (terme désignant les touristes étrangers) n’y vont pas. Mais j’ai pris l’habitude d’y aller pour me fournir en petits ustensiles qu’on ne pense pas toujours à emporter en voyage : boule à thé, pinces à linge, brosse à dent, décapsuleur. Fernando dès qu’il me voit se précipite sur moi prêt à répondre à la demande la plus improbable. Il me dit adorer trouver les choses difficiles que je demande comme par exemple ce cordon pour mon chapeau qui s’envole tout le temps à cause du vent. Au début je pensais avoir affaire à un évangéliste car outre son sourire permanent, il ponctuait ses phrases d’une expression qui semblait être « Dieu règne » (Deus reina) jusqu’à ce que je me rende compte qu’il disait simplement le prix de la cuvette en plastique ou du bocal en verre : 2 R$ (dois reais). En fait Fernando me rappelait le Lazzaro du film d’Alice Rochwacher : un homme bon, prompt à rendre service, heureux d’être au monde tout simplement. Neijo, le neveu de Neyton, pense que je me trompe, que j’ai affaire à un vendeur malin qui arrive à me vendre n’importe quoi comme ce porte-clés boule de billard absolument inutile, qu’il faudrait que j’arrête de voir des personnages de films partout, qu’il ne faut pas oublier que si je suis à Barreirinhas, c’est avant tout pour me soigner de ma « cinéphilie obsessionnelle » et qu’il faudrait que j’y mette un peu plus du mien si on voulait que ça marche. Au moins c’était clair !

Finalement je me dis que ce n’était pas une bonne idée de parler de la bicyclette à Fernando Lazaro. Si Neijo disait vrai, Lazzaro serait capable bien de m’en vendre une, ce qui me poserait pas mal de problèmes ensuite. Déjà je devrais rouler sur les chaussées défoncées du quartier Cebola où je réside, au risque de faire une chute. Déjà que les voisins m’appellent : « O gringo que caiu da rede » (l’étranger tombé du hamac). Viendrait ensuite le problème du retour en France. Et là c’est un scénario à la Pat et Mat qui m’attendrait.

Pat et MatPat et Mat, des films du même nom, très soutenus par le cinéma Eldorado sont deux voisins amis et bricoleurs qui se lancent dans des entreprises un peu folles dont on ne sait jamais à l’avance à quoi elles vont aboutir : si l’objectif de départ est clair, la résolution plus ou moins pertinente de la succession de problèmes rencontrés peux faire dévier le cours du processus de fabrication vers des imprévus. Voici ce que cela pourrait donner appliqué à mon cas :

Pour faire rentrer la bicyclette dans ma valise, il faudrait la démonter entièrement après avoir trouvé des objets susceptibles de devenir des outils (puisque Neijo n’en n’a pas) démonter mais aussi en plier certaines parties. La valise remplie, je m’apercevrais alors que son poids excède largement les 21 kg autorisés et je devrais remplacer certaines pièces par d’autres plus légères trouvées sur place, en fibre de buriti par exemple. Au final, de retour en France après avoir remonté le tout, ma bicyclette ressemblerait plutôt à.… je ne sais pas… un arbre qui tourne par exemple, qui pourrait remplacer la sculpture actuellement absente de la rue de la Liberté à Dijon?

Je ne parlai donc pas du vélo à Lazzaro, je chassai les aventures de Pat et Mat de mes pensées et me résolus à appliquer le programme imposé, à savoir : d’abord écrire un texte qui parle de cinéma (je crois que c’est fait) et ensuite visiter les Lençóis, pousser jusqu’au Delta des Amériques pour profiter des plages de rêve et boire un maximum de jus d’açaï, de cupuaçu, de buriti, de graviola, de bacuri, boissons pleines de vitamines qui me permettront de reprendre mes activités de facteur de l’Eldo à vélo, avec toute l’énergie nécessaire pour affronter la froidure hivernale dijonnaise sur ma vieille bicyclette équipée de sacoches.

Les Lençóis

Le Facteur de l’Eldo


Le Facteur de l’Eldo par le Facteur de l’Eldo. Tous les 15 jours, j’effectue à vélo une tournée dans Dijon et dépose à 35 adresses, des enveloppes contenant des programmes de l’Eldo, permettant au cinéma de faire une substantielle économie en affranchissement. Bien qu’attentif à la route, j’ai l’esprit qui vagabonde entre souvenirs personnels et pensées cinéphiles inspiré·e·s par les lieux dijonnais que je traverse.