Quelques éléments de l’histoire de l’Eldorado

L’Eldorado en dix dates

Vendredi 2 juillet 1920. L’Eldorado-cinéma-théâtre ouvre ses portes. Au programme, Hors de le brume (Out of the Fog ; 1919) d’Albert Capellani, C’est beau-frère qui paie, Bibi Bill et Pupuce, et Toulon la ville.

Dimanche 16 avril 1933. Les films parlent à l’Eldorado.

Mercredi 1er octobre 1952. Ouverture d’un Eldorado transformé pendant l’été. En particulier, la fosse d’orchestre a été supprimée.

Samedi 1er janvier 1972. L’Eldorado obtient le classement Art et essai.

Mardi 7 novembre 1972. Le critique Jean Collet présente le premier Mardi de l’Eldorado, consacré à Tristana (1970) de Luis Buñuel. La formule très ambitieuse, avec 25 Mardis par an, s’arrêtera en juin 1980.

Mardi 2 août 1977. L’Eldorado se dote d’une nouvelle salle de 76 places, réservée aux films confidentiels.

Mercredi 18 septembre 1985. L’Eldorado ouvre après une rénovation totale du bâtiment : le hall étroit a été agrandi en un « espace de communication », une rampe d’accès installée pour accéder à la salle 1 dont le balcon a été transformé en salle 3… Les ouvreuses ont disparu et le cinéma devient permanent.

Mercredi 20 août 1986. La façade de l’Eldorado est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques dans le cadre d’une protection thématique.

Jeudi 3 mars 2011. Femme au miroir, impression sur bâche de Loïc Raguénès, est inaugurée.

Mercredi 10 octobre 2012. Après cinq mois de travaux, toutes les salles de l’Eldorado sont désormais accessibles aux handicapés et équipées de projecteurs numériques. Deux salles ont gardé leur projecteur 35 mm.


Texte publié dans la Lettre # 77 à l’occasion des Journées européennes du patrimoine 2016.

Le 17 octobre 1919 l’entreprise dijonnaise Leoni fils se vit accorder le permis de construire une salle de cinéma-théâtre à l’emplacement du bal qu’Aglaé Foveau avait fait bâtir en 1882 et qui était désaffecté alors depuis une dizaine d’années. Dans la France de l’après-guerre, les salles de cinéma se multipliaient (1 444 salles en 1918, 2 300 en 1921) et Dijon n’était pas de reste. L’ouverture de l’Alhambra (place de la République) avait eu lieu le 11 septembre 1919 et celle des Nouveautés parisiennes (rue Jean-Jacques Rousseau) était prévue pour le 11 septembre 1920, sans compter les établissements préexistants dans lesquels les projections cinématographiques prenaient graduellement le pas sur les autres spectacles, comme à l’Olympia ou la Grande Taverne. Qu’une nouvelle salle de cinéma fût construite n’était donc pas étonnant. Qu’elle le soit dans un quartier excentré, populaire et pauvre en attractions l’était davantage, surtout que le projet se révélait ambitieux par sa taille et son architecture.

Les badauds de la rue d’Auxonne virent s’élever un bâtiment dont la façade imposante, géométrisante, annonçait le mouvement Art déco, malgré quelques réminiscences de décor classique, telles les guirlandes de fleurs stylisées. Parmi les cinémas dijonnais de l’époque, seuls la Grande Taverne (1896) et le Darcy-Palace (1914) rivalisaient architecturalement. La façade sera d’ailleurs classée au titre des Monuments historiques en 1986. Lorsque l’Eldorado-cinéma-théâtre ouvrit ses portes pour la première fois au public le vendredi 2 juillet 1920 à 20 h 30, les curieux purent enfin découvrir l’unique salle de spectacle de huit cents places, l’une des plus grandes de Dijon, avec scène, fosse d’orchestre et vaste galerie, le tout sobre et de bon goût d’après Le Courrier de la Côte-d’Or, avec des conditions de sécurité absolues si nous en croyons Le Bien public.

hors_de_la_brume

Le programme de l’inauguration dut attirer le public, surtout le film principal avec Nazimova, Hors de la brume (Out of the Fog ; 1919) d’Albert Capellani, produit par la Metro Pictures Corporation qui n’avait pas encore fusionnée avec la Goldwyn et la Mayer. Les noms de Capellani et Nazimova ne vous évoquent peut-être rien. Le premier débuta en 1904 avec un Peau d’âne, réalisa pour Pathé des dizaines d’adaptations de classiques de la littérature française et tourna à partir de 1915 pour diverses sociétés de production américaines. Tombé dans l’oubli, il a été redécouvert récemment et, considéré comme un précurseur de Renoir, la Cinémathèque française lui a consacré un cycle en 2013. Quant à Alla Nazimova, ce fut une des grandes stars du théâtre et du cinéma muet, qui scandalisa par ses rôles et sa vie, défendant l’émancipation de la femme et imposant Rudolph Valentino alors inconnu. Du reste du programme, nous ne connaissons que les titres, C’est beau-frère qui paie, Bibi Bill et Pupuce, et Toulon la ville, sans doute un « plein air » (un documentaire).

Sans doute les résultats de la salle ne furent pas à la hauteur des espérances des propriétaires. Les deux premiers mois d’exploitation, l’Eldorado offrait trois soirées (20 h 30) par semaine, vendredi, samedi et dimanche, et une matinée (14 h 30) le dimanche. Ensuite deux séances supplémentaires furent ajoutées le jeudi et le programme fût désormais renouvelé le jeudi et le samedi, stratégie utilisée à l’époque lorsque le public venait à manquer. À partir de 1921, la salle n’ouvrit plus que le week-end, les jours fériés et pour des revues de music-hall, et, dès l’année suivante, l’Eldorado fit relâche l’été. De septembre 1923 à juillet 1928, l’Alhambra et l’Eldorado firent programme commun, mais, après l’été 1928, la direction de l’Alhambra décida de redynamiser sa salle alors que l’Eldorado continuait à vivoter, ne proposant que reprises, films de piètre qualité et feuilletons cinématographiques, genre populaire par excellence.

Les propriétaires de l’Eldorado continuèrent néanmoins de la maintenir, investissant dans les technologies nouvelles a minima. La salle passa ainsi au cinéma parlant le 16 avril 1933, mais ce fut la dernière de Dijon à s’équiper. André Pierre, un petit-fils d’Aglaé Foveau, remis un peu de lustre et réaménagea la salle en 1952, éliminant les derniers vestiges évoquant le théâtre et le music-hall. Mais c’est Jean Couillard qui transforma en profondeur l’Eldorado par une programmation exigeante. Reprenant le cinéma en 1970, il obtint le classement Art et essai en 1972. En 1974, il fut même classé au tableau d’honneur des salles Art et essai pour avoir programmé 85 % des films recommandés par l’AFCAE.

J’aimerais m’arrêter avec ce qui fut sans doute le projet le plus ambitieux mené à bien dans la salle de la rue Alfred de Musset, Les Mardis de l’Eldorado, proposé par Pierre Demoor, fondateur et directeur de la revue Culture cinéma. De novembre 1972 à juin 1980, l’Eldorado offrit aux spectateurs vingt-cinq films par an, présentés par des réalisateurs, acteurs, critiques, producteurs, compositeurs… et pas des moins réputés. La curiosité et l’amour du cinéma, l’envie de les partager sont caractéristiques de l’Eldorado, de Jean Couillard à aujourd’hui. Les préférer aux profits n’allait pas, et ne va toujours pas, sans une certaine fragilité financière. SOS Eldo titrait Pierre Demoor en 1983, ¡Viva Eldorado! criions-nous l’an dernier. Mais je parie que l’histoire de ce petit cinéma de quartier presque centenaire est loin d’être achevée.