Dilili à Paris

Le Pari(s) fou de Michel Ocelot

par Neyton Cará

Qui est Dilili ? d’où vient-elle ? que fait elle à Paris ? Je ne vous le dirai pas ! Je m’en voudrais trop de gâter le plaisir que vous aurez à découvrir le premier plan du film de Michel Ocelot, qui répond à toutes ces questions comme on peut le faire seulement au cinéma.

Il était une fois une petite fille très vaillante…

Je peux toutefois vous dire que Dilili fait beaucoup penser à un autre personnage dont Michel Ocelot est le papa : Kirikou avec qui elle partage une insatiable curiosité, un sens aigu de l’observation, une grande intelligence ainsi que le plaisir de parler le français le plus soigné avec la prononciation la plus distincte qui soit.

Il était une fois, dans un lointain pays qui s’appelait Paris…

C’est par les yeux de cette petite fille, que nous allons découvrir un Paris comme nous ne l’avons jamais vu. Ce qui frappe d’abord, c’est la beauté, cette beauté chère à Michel Ocelot et qu’on retrouve dans tous ses films d’animation : explosion de couleurs et de lumière, saturation de motifs décoratifs, élégance des costumes…  Sauf qu’ici, le cinéaste esthète n’a pas recours au dessin ou à la peinture pour créer cet univers si personnel ; comme si son crayon ne pouvait rivaliser avec l’image réelle, il photographie monuments, intérieurs, mobilier, bibelots, puis retravaille les images pour en gommer les imperfections, effacer les marques qui relèvent du présent ou d’une réalité trop banale et commune. Le résultat est un Paris rêvé, qui peut parler à l’imaginaire et dans lequel le conteur qu’est Michel Ocelot n’a plus qu’à inscrire ses personnages dessinés avec cette simplicité de trait qu’on lui connaît.

Il était une fois, il y a bien longtemps, en une époque qu’on disait belle…

Dilili arrive à Paris en 1900, à la Belle Époque. Dans la Ville Lumière, vivent et travaillent un nombre impressionnant d’écrivain·e·s, peintres, sculpteur·trice·s, musicien·ne·s, comédien·ne·s, cantatrices, scientifiques… De la même façon qu’il s’empare des images réelles pour recomposer un Paris idéalisé, le cinéaste décide d’inclure dans son film toutes ces personnalités historiques ; ils deviennent des personnages, parfois simples silhouettes aperçues à la terrasse d’un café, ou seconds rôles participant à l’avancée du récit : le casting est impressionnant : 31 personnages historiques ont au moins une scène parlée dans le film, 44 autres célébrités apparaissent ou sont évoqués ! Je ne citerai pas de noms, et vous laisse ainsi le plaisir de les reconnaître au fur et à mesure de leurs apparitions.

Le décor est planté, les personnages sont installés, le tout forme un monde de beauté dans lequel une petite fille peut rêver de tous les avenirs possibles. Au fil de ses rencontres extraordinaires, Dilili exprimera le souhait de devenir peintre puis musicienne puis médecin puis chercheuse, tout lui fait envie !

Il était une fois de vilains hommes qui maltraitaient les femmes…

Mais Dilili n’est pas une simple visiteuse découvrant un monde enchanteur. Quand elle arrive à Paris, elle apprend très vite qu’une menace pèse sur la ville : de sinistres individus y enlèvent et séquestrent les petites filles. Son guide sera Orel, coursier en triporteur qui par sa silhouette et son beau visage, n’est pas sans rappeler Azur ou Asmar, personnages d’un autre film de Michel Ocelot. C’est sa première belle rencontre et ensemble ils se lancent sur la piste des kidnappeurs. C’est cette enquête qui les conduit à solliciter l’aide de toutes ces personnalités dont j’ai parlé plus haut. Chacune apportera sa part à l’enquête et Dilili constituera cette impressionnante collection de noms célèbres qu’elle inscrira dans son petit carnet avec peut-être le désir de revenir vers l’une d’elles pour en apprendre davantage quand l’affaire sera terminée. L’aventure nous réserve bien sûr de grands moments comme la descente en triporteur de la butte Montmartre par les escaliers (Toulouse-Lautrec aime beaucoup), et bien d’autres que je préfère vous laisser découvrir.

Ce dont il est question derrière cette histoire de secte enlevant des petites filles, c’est les violences faites aux femmes et l’obscurantisme menaçant une civilisation qui prône l’égalité. D’autres fléaux comme le racisme ou la misère choquent la petite Dilili mais ils n’entament nullement sa vaillance. Car dans tous les contes, le bien finit toujours par triompher du mal…

Avec ce film, Michel Ocelot prend des risques : habituellement, les contes ne s’inscrivent pas dans un lieu et un temps clairement identifiables. Ici, avec l’utilisation de la photographie pour les décors et l’identification des personnages à des gens ayant réellement existé, il s’écarte des codes habituels du genre au risque que les spectateurs adultes voient dans Dilili à Paris autre chose qu’un conte. Ces spectateurs qui connaissent Paris, admirent les personnalités citées dans le film seront peut-être tentés de voir là un film historique et seront forcément déçus. Je les encourage donc vivement à voir le film avec des enfants. Ils pourront les interroger sur leur vision du film et seulement après, répondre à leurs questions sur tel ou tel personnage, tel ou tel élément de décor.

Dis Papa, est-ce que Archimède, il était dans le film ?

Cet été, dans sa programmation jeune public, l’Eldorado proposait un petit film d’animation intitulé Linnea dans le jardin de Monet. On y voyait une petite fille interroger son voisin sur la peinture de Claude Monet et le bon grand-père décidait d’emmener Linnea à Paris sur les traces du peintre. Si après la vision de Dilili à Paris vos enfants ou petits-enfants vous posent des questions sur le palais Garnier ou l’institut Pasteur, vous voyez ce qui vous reste à faire.

Quant aux producteurs de films d’animation, le film de Michel Ocelot constitue pour eux une mine d’idées : les 75 personnalités citées dans Dilili à Paris pourraient toutes faire l’objet d’un film rendant leur talent sensible aux enfants comme le fait Linnea. Ils pourraient aussi se lancer dans des projets plus ambitieux de biopics animés comme le très beau Miss Hokuzai de Keiichi Hara sorti en 2015. Sans parler du Paris d’hier ou d’aujourd’hui, réel ou imaginaire qui peut donner lieu à des œuvres surprenantes comme Avril ou le monde truqué sorti en 2015 et inspiré de l’univers de Jacques Tardi, dans lequel on pouvait voir deux tours Eiffel ! Et si vous n’avez pas d’enfants qui pourraient vous emmener voir le film, sachez que Dilili peut très bien se charger de vous faire retrouver votre âme d’enfant car elle est très vaillante !

Dilili à Paris (France, Allemagne, Belgique ; 2018 ; 1 h 35; format 1.85). Écrit et réalisé par Michel Ocelot ; produit par Christophe Rossignon et Philip Boëffard. Musique de Gabriel Yared ; image de Michel Ocelot ; son de Séverin Favriau et Stéphane Thiebaut ; montage de Patrick Ducruet (image). Avec les voix de Prunelle Charles-Ambron, Enzo Ratsito, Natalie Dessay…

Sortie nationale le 10 octobre 2018

Neyton Carà par Neyton Carà. J’aime le cinéma vivant qui raconte des histoires simples et dont les personnages m’accompagnent après la séance pour nourrir mon rapport aux autres et au monde. Je n’aime pas les films narquois, les cinéastes un peu trop roublards et les « thrillers psychologiques ».