Dijon vu par le Facteur de l’Eldo # 1

La clinique des souvenirs

La première fois, en marchant dans cette allée, mon vélo à la main, je fus saisi d’une sensation étrange, une impression de déjà-vu sans pouvoir retrouver ni l’époque ni les circonstances qui avaient pu m’amener là.

L’hôtel des Allées fait partie de ma tournée, c’est le seul hôtel dans lequel je laisse des programmes de l’Eldo, il est situé dans les allées du Parc, au fond d’une cour envahie par une végétation qui ne semble pas avoir été entretenue depuis longtemps. Quant au bâtiment, je ne saurais dire de quand date sa construction ; deux étages, une façade sans ornements, une grande entrée protégée par un auvent à laquelle on accède par un large escalier. Ce bâtiment assez neutre aurait très bien pu abriter des appartements ou des bureaux. Enfant, j’habitais non loin des allées du Parc et j’y passais souvent pour aller jouer chez des copains qui habitaient par là, pour aller me baigner à la piscine du Carrousel, ou faire du patin à roulette. C’est du coté de l’enfance qu’il me fallait chercher si je voulais faire renaître les souvenirs.

Assez rapidement, je découvris que cette étape de ma tournée de facteur avait un intérêt non négligeable : celui d’être un raccourci vers l’étape suivante. En effet l’allée d’accès à l’hôtel se prolongeait pour déboucher rue de Longvic, un second raccourci derrière le Consortium m’amenait quasiment devant l’Eldo ! Ce raccourci ne m’aurait été d’aucune utilité dans mon enfance puisque j’habitais de l’autre coté des allées et qu’à l’époque je ne fréquentais pas encore l’Eldorado. En revanche, il pouvait justifier le fait de fournir le lieu en programmes. À pied, un résident de l’hôtel pouvait se rendre à l’Eldo en cinq minutes.

Au fil de mes tournées, je dus me rendre à cette évidence que personne, dans cet hôtel, ne semblait intéressé par la programmation de l’Eldo. Lorsque je déposais les nouveaux programmes, je comptais ce qui restait de la précédente livraison, elle était toujours intacte. Aucun client de l’hôtel n’empruntait les raccourcis pour se rendre à l’Eldo. J’en informai un membre de l’équipe de l’Eldo, il s’avéra que ce dépôt avait une histoire, qui n’était pas oubliée, contrairement à la mienne. Entre 1985 et 2008, le gérant de l’Eldorado était Alain Cramier, figure héroïque du cinéma indépendant. Vivant à Saint Étienne où il dirigeait aussi le cinéma Le Méliès, il avait l’habitude de descendre à l’hôtel des Allées quand il venait à Dijon. C’est à son intention que des programmes de l’Eldo étaient disposés dans le hall de l’hôtel. Alain Cramier est décédé en 2009 mais on a continué à poster les programmes dans son hôtel, comme un signe adressé à ce passé.

Un autre signe allait me mettre sur la piste de mon propre passé, sous la forme d’un objet ramassé sur les marches de l’hôtel, l’hiver dernier : il s’agissait d’une tétine de bébé sans doute perdue par des clients de l’hôtel. Je savais maintenant pourquoi ce lieu faisait partie de mon passé, il ne me restait plus qu’à me le faire confirmer : je ramassai l’objet et le donnai à l’accueil de l’hôtel avec l’habituelle enveloppe de programmes et je posai la question qui me brûlait les lèvres à l’hôtesse. Oui, avant d’avoir été un hôtel, ce lieu avait été une maternité, la clinique du Parc. J’y étais venu rendre visite à mes tantes lorsqu’elles avaient mis au monde mes cousines et mes cousins et surtout, j’y étais né. Après m’avoir fait voyager, durant des années, dans le monde entier par les films projetés sur ses écrans, l’Eldorado me ramenait sur le lieu de ma naissance.

Lors de mes trois dernières tournées, j’ai trouvé l’hôtel des Allées fermé. J’en ai fait le tour, j’ai regardé chaque fenêtre, espérant quoi ? Y voir apparaître des fantômes ?

Le Facteur de l’Eldo

Le Facteur de l’Eldo par le Facteur de l’Eldo. Tous les 15 jours, j’effectue à vélo une tournée dans Dijon et dépose à 35 adresses, des enveloppes contenant des programmes de l’Eldo, permettant au cinéma de faire une substantielle économie en affranchissement. Bien qu’attentif à la route, j’ai l’esprit qui vagabonde entre souvenirs personnels et pensées cinéphiles inspiré·e·s par les lieux dijonnais que je traverse.