Capsule temporelle # 2

Octobre 1908

Action de la société Cinéma exploitation

Depuis quelques années, les films ne sont plus nécessairement vendus mais aussi loués. La société Pathé frères qui domine le marché mondial de la production a même décidé d’arrêter toute vente dès le 15 août 1907, et ses films ne sont désormais qu’exclusivement concédés régionalement. Par exemple, pour Paris et pour l’Est, donc pour Dijon, la société Cinéma exploitation choisit qui peut utiliser le matériel Pathé frères, en projeter les films et en revendiquer le nom. Cette nouvelle organisation va accélérer la sédentarisation des cinématographes qui peuvent rester de plus en plus longtemps dans une ville, en changeant de programme plusieurs fois par semaine. En octobre 1908, trois établissements annoncent des séances dans la presse. Il est à noter que les programmes ne sont pas publiés.

Article paru dans Le Progrès de la Côte-d’Or du 9 septembre 1908

L’Alcazar-Kursaal a entamé sa saison d’hiver depuis le 13 septembre déjà. La troupe est revenue et les artistes en tournée se succèdent le dimanche en matinée (14 h) et tous les jours en soirée (20 h 30). En octobre, les Dijonnais peuvent voir ainsi, entre nombreux autres, les cyclistes Bowdens, le comique Petitbon dans « le grand succès de l’Eldorado de Paris » bien oublié depuis, l’opérette Bat-Flanc, la danseuse Noedia, « la plus excentrique des excentriques parisiennes », les Folies-Bergère ou la « célèbre » troupe Walhalla, gladiateurs romains. Depuis la réouverture et jusqu’au lundi 26 octobre, l’établissement propose aussi dès 17 h 30 une heure et demie de spectacle avec le New Cosmographe Cinéma. L’entrée est gratuite, sauf le dimanche où il faut débourser 25 centimes, hors les consommations bien entendu.

L’Alcazar en octobre 1905

Fin 1869, Félix Voillequin avait baptisé Alcazar le fonds de café du 90 de la rue des Godrans et la salle de danse située derrière qu’il venait d’acheter. Après sa mort survenue en 1878, sa veuve dirigea l’établissement avant de la revendre en 1880 à François Bergerot qui le conserva jusqu’en 1901. C’est la grande époque de l’Alcazar. La façade que nous pouvons voir aujourd’hui encore, avec les deux belles caryatides qui surplombaient alors la brasserie, a été construite en 1889 à l’occasion des travaux d’alignement de la rue. En 1896, Alcazar accueillait les premières projections publiques d’« photographies animées » par un « appareil chronographique américain » qu’opérait M. Tondu, mais, malgré cette antériorité, l’Alcazar resta fidèle aux spectacles vivants, les cinématographes n’y étant que très rarement au programme. Claude Blache, qui avait repris l’établissement en 1904, ne pourra éviter la liquidation judiciaire en 1910. Son repreneur, Edmond Oger, fera vite faillite et l’Alcazar-Kursaal sera vendu le 25 mars 1911 à la société des Magasins modernes qui le transformera en un entrepôt de meubles.

Projecteur cinématographique professionnel Pathé renforcé 35 mm, modèle 1908

Depuis 1904, les débits de boisson de la place Darcy organisaient des séances en plein air, après la tombée de la nuit. La brasserie du Lion de Belfort en avait été l’initiatrice, les cafés Glacier et de la Concorde avait suivi l’année suivante, et le café de la Rotonde en 1906. Elles disparaissaient avec l’arrivée de l’automne et des premiers froids mais, en 1908, le café Glacier décide de proposer en intérieur des séances composées de « vues monopolisées Pathé frères », tous les jours à 20 h 45, avec changement de programme deux fois par semaine (sans doute le jeudi et le dimanche).  La première séance a lieu le 26 septembre, et, à partir du 17 octobre, un « trio symphonique » agrémente « le défilé des vues cinématographiques ». Les séances ne seront plus signalées dans la presse à partir du 26 novembre, et il est probable qu’elles s’interrompirent à ce moment.

Grand Café Glacier

Le café Glacier étaient situé à l’angle de la place Darcy et du boulevard De-Brosses, dans un bâtiment construit en 1895 par les charpentiers Charles Ardiot et Jean-Louis Moncorget sur l’emplacement de l’hôtel Padiolleau. Le cinématographe fit son entrée au Glacier avec Pierre Gabon qui avait racheté le café à son premier propriétaire, Henri Combalot, en 1902, et il en disparaîtra avec la Première Guerre mondiale. Pierre Gabon revendra le café en 1917 et, après-guerre, les animations annoncées par le Glacier ne seront presque qu’exclusivement des concerts. Il est vrai que, pour voir des films, les spectateurs se rendront alors dans les quelques salles de cinéma dijonnaises plutôt qu’aux cafés. L’une d’elle, l’Alhambra, sera dirigée à son ouverture en 1920 par un certain Monsieur Gabon sans que je puisse déterminer s’il s’agit de l’ancien directeur du grand café Glacier, de l’un de ses parents ou d’un homonyme. Le café Glacier fermera définitivement ses portes le 30 septembre 1998, après plus d’un siècle d’existence, laissant la place à un établissement bancaire (actuellement « espace pro » du Crédit mutuel).

Un film Pathé frères d’octobre 1908 : L’Arlésienne d’Albert Capellani

La place Darcy n’était pas la seule à voir fleurir les écrans pendant la belle saison. Par exemple, place du Peuple — c’est ainsi que la municipalité Baraban avait « rebaptisé » en 1904 la place Saint-Pierre, avant qu’elle ne soit renommée place du Président-Wilson le jour de l’Independance Day 1918 —, la brasserie du Parc organisait des séances en plein air sur sa terrasse depuis juillet 1905. La nouveauté de 1908 avait été l’inauguration du « cinématographe de la brasserie du Parc », jardin d’hiver construit spécialement à l’emplacement de la terrasse et inauguré le 9 février. En octobre, la brasserie propose une séance de cinématographe tous les soirs à 20 h 30, et une séance supplémentaire le dimanche à 17 h. Les séances du jeudi et du dimanche sont accompagnées par la musique d’un orchestre symphonique, les autres probablement par celle d’un phonographe. À partir du 31 octobre, avec le « cinéma Pathé frères », le rythme ralentit : « soirées le jeudi et le samedi ; matinée le dimanche ». Les séances Pathé frères seront signalées jusqu’au 2 décembre.

La terrasse de la brasserie du Parc en 1891

Lorsque la place Saint-Pierre fût aménagée en 1837, André Straub avait depuis peu transformé en brasserie l’auberge qui était à l’angle du cours du Parc (actuel cours Général-de-Gaulle) et de la rue des Hauturots (actuelle rue de Longvic). Il y eût de nombreux propriétaires dont Grandclément qui acheta le commerce fin 1903 et qui proposa à ses clients des séances de Cinédiorama en plein air en juillet 1905, et Charles Decoursière qui lui succéda en mars 1906 et qui construisit le jardin d’hiver, avant de revendre lui-même la brasserie en juillet 1910. L’établissement fermera en 1915 et deviendra le « grand garage Wilson » en 1920. Le bâtiment sera démoli et remplacé par l’immeuble d’habitation, construit par les architectes Benjamin Cohen et Hélène Zemko en 1978, que l’on peut voir aujourd’hui.

Sources :
  • Le Progrès de la Côte-d’Or, notamment les numéros du mois d’octobre 1908.
  • Roger Gauchat, « L’urbanisme dans les villes anciennes », 1. « Les faubourgs de Dijon du XVIIIe siècle à nos jours ». Mémoires de la Commission des antiquités de la Côte-d’Or, t. 23, 1947-1953.
  • Agnès Garima, Cinéma et cinéma à Dijon de 1910 à 1929, mémoire de maîtrise. Université de Bourgogne, 1993-1994.
  • Jacques Kermabon (dir.), Pathé, premier empire du cinéma. Centre Georges Pompidou, 1994.
  • Claude Forest, Les Dernières Séances. Cent ans d’exploitation des salles de cinéma. CNRS, 1995.
  • Jean-François Bazin, Tout Dijon. Clea, 2003.
  • « Malfaçons, vices cachés, l’achat raté du Grand Hôtel de la Cloche », Le Bien public, 26 juin 2016.
  • « Jeanne Vieillard, une figure de la place Darcy », Le Bien public, 23 août 2016.
  • « Le café du Parc, 2, rue de Longvic à Dijon », Le Bien public, 26 août 2018.
Illustrations :
  • Action de la société Cinéma exploitation, cliché trouvé sur le site de vente ebay.fr.
  • « L’ouverture du Kursaal », publié dans Le Progrès de la Côte-d’Or, 40e année, n° 253 (9 septembre 1908), disponible sur le site Retronews (https://www.retronews.fr/). Suivant les numéros, on trouve l’orthographe Cosmograph ou Cosmographe.
  • Photocarte de la façade de l’Alcazar (coll. N. Despont). Les affiches visibles (l’imitateur Lamousse, le comique troupier Frémy et le gymnaste Bruno Pitrot) permettent de dater le cliché entre le 13 et le 19 octobre 1905.
  • Projecteur cinématographique professionnel Pathé renforcé 35 mm, modèle 1908 (image provenant du site de commissaires-priseurs ADER Nordmann).
  • Carte postale du café Glacier. Cliché du photographe Xavier Bick (1869 – 1955) qui avait une boutique au 3 de la place Darcy jusqu’en 1920 (coll. N. Despont).
  • Photogramme extrait de L’Arlésienne produit par Pathé frères et réalisé par Albert Capellani (1874 – 1931) d’après le conte d’Alphonse Daudet. Diffusé dès octobre 1908, le film a pu passer à Dijon à cette époque.
  • Dijon, la brasserie du Parc, 1891 , peinture à l’huile sur toile de Paul Laureaux. Le tableau est exposé au musée de la vie bourguignonne Perrin de Puycousin (17, rue Sainte-Anne), dans la salle de la vie industrielle.
Merci à Mme Despont, Mme et M. Dubuisson, et M. Pernot de leur aide précieuse tant pour l’iconographie que pour les informations sur le Dijon de l’époque.

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