Dernières nouvelles de l’Ouest : Les Frères Sisters

par Air C

Brillante distribution, film français en VO américaine, tourné en Europe, trailer percutant, Les Frères Sisters est sur les écrans. Bonne nouvelle : l’homme de l’Ouest est nouveau : son flingue lance des étincelles et puis il fait long feu.

Il y la voix de Joaquin Phoenix, celle qu’on entend sur les ondes de France Inter épeler les lettres « S », « I » (aïe)… nasale à souhait, tendrement éraillée : elle nous mène un peu par le bout du nez jusqu’au ciné. D’autant que son dernier film était vraiment bien. Et puis Joaquin, il trinque dans ses films*, en ce moment, des pieds, un bras… Alors on a envie de le protéger un peu ce grand garçon. Le saurait-il ? Peut-être, avec son sourire caché dans les yeux… Il y a aussi dans le trailer les birds qui flyent presque aussi high que Bagdad Café. Et ensuite, il y a le film. Un film d’hommes comme le veut la loi du genre.

L’homme Sisters boit beaucoup : c’est un homme de l’Ouest. Il tue aussi. Et il a dans ses veines le sang d’un père qui buvait. Tout le monde le sait. Même sans aller voir le film. Tout le monde aussi sait que c’est  John C. Reilly qui est venu chercher Jacques Audiard, avec à la main le roman de Patrick deWitt dont il n’y pas eu besoin de changer le nom tellement il sonne : Les Frères Sisters. Et tout le monde a entendu Thomas Bidegain et Jacques Audiard raconter le story de l’adaptation, de la transition générique à l’épiphanie du nouveau personnage, et la scène d’intro qui donne le ticket d’entrée.

Ce qui est nouveau, dans ce film d’hommes, qui est vraiment un honnête bon produit de divertissement, car on ne donne quand même pas le Lion d’argent de la réalisation à n’importe qui, c’est que l’homme de l’Ouest cherche une rédemption. Allons doucement ! Il en est encore à tuer le père, à se bagarrer avec son frère, à ne voir de femme que dans sa mère, et à prendre la Conche des Baleines pour l’aboutissement d’un long chemin mais il évolue. Il se questionne, pratique une écoute attentive envers ses camarades de bivouacs, cherche à changer, et éprouve des sentiments, envers son cheval, par exemple.

Mais ce qui est encore plus nouveau pour un film d’hommes de l’Ouest, c’est qu’il y est question, à plusieurs reprises et assez longtemps, d’une autre conquête que celle de l’or, celle d’un monde meilleur, à travers la construction d’un phalanstère, à Dallas, ce qui est une réalité historique, bien connu des gens de l’Est, grâce en particulier à l’exposition Dallas Big D** et à la conférence qui l’avait accompagnée.

Or la chimie, même à finalité humanitaire, ne conquiert que l’or physique des rivières, et elle tue les hommes et les poissons. Pour l’œuvre au noir il faudrait revenir à Paracelse, à moins que la réponse ne soit dans les pépites de lumière qui trouent la surface de l’eau lorsqu’on en contemple la surface depuis l’intérieur…

Boucane et boucan d’enfer, hell’s trognes, gueules de bois et villes de toiles, la vie va, les hommes sont des pantins qui tuent avec leur grand cœur de gamins. Mais on leur pardonne car ils aiment leur maman. Un jour peut-être, quand ils auront fini de construire des villes idéales loin de leurs plages préférées, découvriront-ils qu’ils ont aussi des sisters.

À Dijon, en VO, à l’Eldo bien sûr !

Prolongements

Dallas, « Big D », comme « Big Dallas », est une expression employée par ses habitants. Dallas, ville de pionniers fondée en 1841, a été le siège de la création en 1855 d’un phalanstère fouriériste, nommé La Réunion. 350 français sont arrivés, alors que la population du village n’était que de 250 habitants.**

Fourier, Charles,  est avec Charles Owen, le plus grand théoricien de l’utopie. Il expose ses idées entre autres dans Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, Théorie de l’unité universelle et aussi dans Le Nouveau Monde amoureux (sorte d’ancêtre du polyamour). En France,  l’Association d’études fouriéristes, se consacre à la diffusion de sa pensée et édite chaque année un Cahier très érudit. Jonathan Beecher, biographe le plus exhaustif de Fourier y a publié une étude sur la mise en place par Victor Considerant du phalanstère de Dallas :

En 1852, depuis son exil belge, Considerant commença à envisager de tenter un essai fouriériste sous une forme ou sous une autre en Suisse, où il avait de nombreux amis et adeptes. Puis en novembre 1852, à l’invitation du fouriériste américain Albert Brisbane, il partit pour l’Amérique afin d’explorer les possibilités de lancer une expérience communautaire dans le Nouveau Monde. Il entreprit son voyage d’une manière désinvolte, sans en attendre grand-chose, Mais dans ses écrits, cela faisait déjà quelque temps qu’il opposait à la décadence et à la corruption de l’Europe des images de jeunesse, d’énergie et de vitalité identifiées à la démocratie. Il n’est donc pas vraiment surprenant qu’il ait été rapidement séduit par l’Amérique.***

Portrait de Victor Considerant par Jean Gigoux


*Don’t Worry, He Won’t Go Far on Foot.

**Texte de présentation de l’exposition Dallas Big D, par Sébastien Godret et Benjamin Bibas : Reportage audio en ligne sur http://lafabriquedocumentaire.fr/production/dallas-big-d/
Billet sur l’exposition : Dallas big D, 3 JUIL. 2016, MISCELLANÉES, https://blogs.mediapart.fr/claire-rafin/blog/030716/dallas-big-d

***BEECHER Jonathan , « Une utopie manquée au Texas. Victor Considerant et Reunion  », Cahiers Charles Fourier, 1993 / n° 4 , en ligne : http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article85 (consulté le 19 septembre 2018).
« Je suis fidèle et non exclusive » : des personnes polyamoureuses racontent comment elles vivent leurs relations plurielles, https://www.francetvinfo.fr/societe/debats/je-suis-fidele-et-non-exclusive-des-personnes-polyamoureuses-racontent-comment-elles-vivent-leurs-relations-plurielles_2935541.html


Air C par Air C. Je ne suis pas allée très souvent au ciné ailleurs qu’à l’Eldo. Je n’ai pas vraiment de réalisateur préféré. Beaucoup me touchent. Je préfère en général les petits films. J’aime quand les images sont belles et bien rythmées, avec des atmosphères, de la vivacité et de l’humour. J’aime quand les histoires montrent des gens simples, d’ici ou d’ailleurs. Un best of ? Jarmush, Gondry, Kawase, peut-être. Mais tant d’autres encore.